Les Jeux olympiques de Beijing et la question du Tibet
Vijay Singh
Dans le cadre des préparatifs pour les Jeux Olympiques qui
auront lieu à Beijing, l'impérialisme américain
mène une campagne de désinformation contre la politique
des nationalités au Tibet en utilisant les vestiges du
féodalisme, tels que le Dalaï Lama en tant que leur
instrument, aux côtés des journaux impérialistes
habituels accrédités, «des organismes pour les
droits de l'homme» et de personnalités du cinéma
d’Hollywood. Il s'agit d'un jeu familier qui a été
joué la dernière fois lors des années Reagan,
lorsque les États-Unis ont effectué un exercice politique
similaire contre leur rival impérialiste avant les Jeux
olympiques de Moscou et qui a culminé avec le boycott
américain des Jeux. La campagne américaine d'aujourd'hui
doit être considérée pour ce qu'elle est: une
tentative de saper la politique chinoise dans sa «propre»
cour et d’accélérer davantage la voie longue d’un
demi-siècle de développement d’un «marché
socialiste» en Chine et de faire pression pour le rejet de la
coquille de l'État démocratique populaire. Elle fait
également partie des efforts des États-Unis pour
encercler militairement de la terre et de la mer un pays qu'ils
considèrent comme un dangereux rival impérialiste.
À l'intérieur de la Chine, les reportages des
médias parlent d'une recrudescence du chauvinisme Han, qui est
un reflet des troubles au Tibet et de la récente série de
dénigrement de la Chine par les États-Unis. La promotion
des luttes intestines des nationalités et des religions fait
partie intégrante de la politique de l'impérialisme
américain à travers le monde.
Aucun récit de propagande des États-Unis par les
universités et les journaux ne peut effacer le fait que,
après la révolution de 1949, le peuple chinois a
aidé à la transformation démocratique de la
société tibétaine. La République
démocratique de Chine a contribué à abolir le
féodalisme, elle a introduit la réforme agraire, a aboli
l'esclavage, émancipé les serfs, a mis fin au despotisme
théocratique des lamas bouddhistes et a procédé
à la transformation économique de la
société tibétaine, amenant celle-ci de la tyrannie
et des ténèbres médiévaux à la
lumière du vingtième siècle, en introduisant les
avantages de la société industrielle et de la
transformation démocratique ainsi que des institutions
économiques étatiques et coopératives; la
nourriture, le logement, et l'habillement; l'alphabétisation,
l'éducation et la sécurité sociale parmi les
masses tibétaines. C’est une ironie suprême que les
États-Unis qui oppriment les nations Afro-Américaines et
Portoricaines à l'intérieur de leurs frontières
d’État, qui exploitent les pays coloniaux, semi-coloniaux et
dépendants autour de la planète, et qui ont une politique
de destruction de la démocratie et de la laïcité
pointent leur doigt vers la Chine. L’opinion démocratique doit
comprendre ces politiques pour ce qu'elles sont.
Les premières années du mouvement révolutionnaire
en Chine ont vu le Parti communiste poursuivre une approche et un
programme exemplaires à l'égard de la question nationale.
Mao Zedong en sa qualité de Président du Comité
exécutif central de la République soviétique
chinoise en 1931 et dans son discours lors du deuxième
Congrès des Soviets en 1934 a dénoncé sans
détours l'oppression nationale sous le règne des
militaristes et des propriétaires terriens chinois ainsi que
l'oppression par les classes dirigeantes des princes, des Bouddhas
vivants et des lamas des plus petites nationalités et leur
capitulation envers la colonisation impérialiste. Il a bien
compris la nécessité d'unir les nationalités
opprimées, telles que les Mongols, les Tibétains, les
Coréens, les Annamites, les Miao et beaucoup d'autres autour des
Soviets en Chine afin de renforcer la révolution contre
l'impérialisme et le Kuomintang(1). Mao a félicité
la Constitution adoptée par le Premier Congrès des
Soviets qui fût tenu en 1931 à Juichin au Kiangsi, qui
dans son 14ème article disait que «la Chine
soviétique reconnaît l’autodétermination complète des
minorités qui peut aller jusqu'à la sécession et
la formation d’États libres et indépendants».
(Souligné dans l'original.) La constitution des Soviets chinois
de 1931 a fait valoir que «la libre union des nationalités
remplacera l'oppression nationale». Ceci implique la
création d'une «Union des Républiques
soviétiques» fédérales selon le
modèle de l'Union soviétique, une structure d’État
démocratique, qui était basée sur le point de vue
de Marx en ce qui concerne la question irlandaise.
Une telle approche a été maintenue jusqu'à la
fondation de la République populaire de Chine. Une énorme
transformation sociale, économique et politique
révolutionnaire a eu lieu dans les territoires des
minorités nationales après 1949. Mais en termes de la
résolution de la question nationale on ne peut pas dire qu'une
solution démocratique complète ait été
accomplie. Les zones contiguës des peuples de langue
tibétaine n'ont pas été unis sur le plan
administratif après la libération alors qu’en Mongolie
intérieure le peuple mongol était séparé
sur le plan administratif. Le Parti communiste de Chine et
l’État de la République populaire démocratique se
sont dérobés de leur promesse de construction d'une libre
union des nationalités dans laquelle le droit à
l’autodétermination nationale serait reconnu jusqu’au point de
la sécession. Par cette méthode, les nationalités
de la Mongolie, du Tibet, du Sinkiang et d'ailleurs furent
subordonnées à la majorité chinoise Han, et cette
dernière est devenue une nation privilégiée
constitutionnellement pouvant diriger le destin des nationalités
qui habitaient les vastes régions de la République
Populaire de Chine. Les nationalités de la Mongolie, du Tibet et
du Sinkiang comme d’ailleurs, qui constituaient la majorité dans
leur ancien territoire national furent maintenant
désignés comme "minorités nationales". Ce tableau
général est apparu dans la Constitution de 1954 et il
devait être reproduit dans les lois fondamentales
subséquentes qui ont été promulguées par
l'État chinois. L'unité et l'intégrité des
territoires de l'État chinois et non pas la libre union des
nationalités fondée sur le droit à
l'autodétermination des peuples sont devenues le principe
constitutionnel fondamental de base. De cette manière,
l’approche politique du PCC sur la question nationale s’est
éloignée du marxisme et en est venue maintenant à
se rapprocher des points de vue de Sun Yat-sen et du Kuomintang.
Le camp du socialisme et de la démocratie qui couvraient une
douzaine d'États a assisté à une rupture
fondamentale dans sa politique économique dans les années
entre 1954 et 1958, qui fût caractérisée par le
rôle ascendant du «socialisme de marché» en
Union soviétique, en Chine populaire et dans la majorité
des démocraties populaires. Ces années ont vu
également des transformations théoriques, politiques et
idéologiques correspondantes dans lesquelles le traitement de la
question nationale a été une composante importante. Ceci
a donné lieu à des paradoxes intéressants. L'Union
soviétique dans sa loi fondamentale en vigueur jusqu’à
son autodestruction en 1991 maintenait les fondements des principes
léninistes-staliniens sur la question nationale. Mais les partis
communistes alignés sur le PCUS ont rapidement abandonné
l'approche marxiste sur la question nationale après 1953, en
particulier le principe démocratique de
l'autodétermination nationale. Le CPUSA, par exemple, a
répudié l'application de ce principe par rapport à
la nation Afro-Américaine, qui a été
élaboré par Lénine, Staline et le Komintern. Au
seuil de notre propre porte, le PCI au milieu des années
cinquante a abandonné la compréhension que l'Inde
était un État multinational dans lequel le droit à
la sécession devait être accordé sur la base d'une
union volontaire des républiques démocratiques populaires
et après quelques moments d'hésitation suite à sa
création, le PCI(M) s’est également aligné
essentiellement en conformité avec ce qu'il appelait
l’idéologie révisionniste soviétique du PCI. Pas
à pas, le PCI et le PCI(M) ont effectué un rapprochement
harmonieux avec les doctrines «nationalistes» du Parti du
Congrès. Ceci correspondait aux besoins économiques de la
grande bourgeoisie et de son marché multi-national en Inde qui a
été mis sur pied par Sardar Patel en tordant le bras des
Etats princiers féodaux et par des «actions
policières non-violentes» appropriées.
Le Parti communiste de Chine comme on l'a déjà
noté avait rompu avec l'approche marxiste sur la question
nationale après la libération. Mais les partis et les
organisations communistes révolutionnaires qui ont
été créés dans les années 1960 et
qui se sont alignés avec Pékin et Tirana ont
défendu en général les principes
léninistes-staliniens sur le droit des nations à
l'autodétermination. La tradition du PCI(ML) dès sa
création est retournée à la compréhension
pré-révisionniste du PCI d’autrefois et a accepté
le droit à la sécession, en se référant en
particulier au Cachemire et aux nationalités dans la
région nord-est de l'État indien qui étaient en
pleine lutte pour leur émancipation nationale.
En mettant de côté les paradoxes, un enchevêtrement
et une interpénétration répandus de courants
idéologiques opportunistes ont émergé sur la
question des nationalités pour justifier l'abandon du
point de vue marxiste. Il est déduit du rôle actif des
impérialismes américain et allemand dans la destruction
des Fédérations soviétique et yougoslave dans les
années 1990 que le droit de l'autodétermination nationale
et à la sécession facilite le travail de
l'impérialisme et doit donc être rejeté. Il est dit
que le séparatisme est devenu un outil privilégié
de l'impérialisme américain. Et il ne fait aucun doute
que, malgré la restauration du capitalisme en URSS à la
fin des années 1950 et la liquidation de la démocratie
populaire dans la République Fédérale de
Yougoslavie à la fin des années 1940, la
préservation des structures fédérales dans ces
Etats a été officiellement progressiste, et c’est clair
qu'elles constituaient d'importants obstacles à la
pénétration des principales puissances
impérialistes mondiales comme les États-Unis et
l'Allemagne. Les «nouveaux» arguments contre la
reconnaissance du droit démocratique à
l'autodétermination nationale dans la période
contemporaine ne sont qu'une réaffirmation de la politique du
mouvement communiste international de la période de Khrouchtchev
et, en remontant encore plus loin, des notions de la
social-démocratie de droite dans la première partie du
20ème siècle. Les bolcheviks, qui ont également
lutté contre l'impérialisme quand la Russie
Soviétique devait se battre contre la multitude d'armées
étrangères sur le sol soviétique qui
étaient alliées à l'Armée Blanche à
l'époque de la guerre civile, ont confirmé le principe de
l'union des nations fondées sur le droit à
l'autodétermination. C'est sur cette base que la libre
fédération des nations a été construite en
Russie Soviétique et plus tard en Union Soviétique. Les
bolcheviks ont clairement établi que la lutte pour le socialisme
dans des pays multinationaux était inextricablement liée
à la reconnaissance du droit des peuples à
l'autodétermination: l'une des expressions du droit de
décider de son avenir a été la formation d'un
République fédérative.
La récente déclaration du dirigeant du PCI(M), Prakash
Karat, sur le Tibet exprime d’une manière succincte le cadre
idéologique contemporain de la sociale-démocratie de
droite sur la question nationale. Karat a entièrement omis toute
référence au marxisme ou à la démocratie
tout en critiquant le point de vue du BJP fasciste hindou qui a soutenu
la campagne anti-chinoise des États-Unis sur les émeutes
de Lhassa. Karat, en basant ses arguments sur une logique
«nationaliste», a rappelé que le BJP en soulevant la
question de l'indépendance du Tibet a rendu "un mauvais service
à notre pays" parce que ça pourrait soulever les
revendications sécessionnistes en Inde: «Allons-nous
appyer un Nagaland libre? Ou un Jammu et un Cachemire libres? Ou ces
autres revendications sécessionnistes?» Donc vous en
arrivez à ceci: le droit démocratique à
l'autodétermination national ne peut pas être reconnu au
sein de l’État multinational chinois car la mention de ce droit
peut menacer les frontières actuelles de l’État
multinational indien. Cette position que nous dit Karat doit
s'appliquer partout dans le monde, en Europe
(Tchétchénie, Kosovo), en Chine ou dans n’importe quel
pays d'Asie car il a un effet négatif sur la souveraineté
des nations au «nom des droits de l'homme» et «des
minorités ethniques»(2). Il est intéressant de
noter à quel point Karat confond la notion de
«souveraineté d’État» des États
multinationaux avec l'idée de la «souveraineté
nationale» des États-nations, niant de cette
manière en termes réels la notion de
«souveraineté nationale» pour ces nations qui
choisissent d'opter pour la construction d'États-nations. En la
poussant jusqu’à sa conclusion logique, cette position implique
que toute lutte nationale contre le règne impérialiste ne
peut être soutenue parce que cela affecte la
«souveraineté nationale» de la puissance
impériale. Le PCI(M) se considère comme le gardien des
frontières de l'État de l'Inde et pour sa défense
il est prêt à sacrifier le dernier Meitei, Naga et
Kashmiri. C’est Staline qui déclarait que ceux qui ne
reconnaissent pas le droit des peuples à
l’autodétermination ne peuvent pas être
considérés comme des démocrates, encore moins
être considérés comme des socialistes(3). C’est sur
la base de cette compréhension que les points de vue du
PCI(M) sur la question nationale doivent êtres jugés.
Les attaques actuelles de l'impérialisme américain et de
ses partisans contre la politique tibétaine de la
République Populaire de Chine doivent être combattues tout
en défendant le principe démocratique de base de
l'autodétermination nationale. La lutte contre
l'impérialisme américain ne doit pas être
utilisée pour propager ou justifier des points de vue
étrangers au marxisme sur la question nationale.
Notes de bas de page:
1. Rapport du Président du Comité exécutif central
de la République soviétique chinoise, avant le
Deuxième Congrès national des Soviets, Mao-Tse-Tung,
janvier 1934, dans: Victor A. Yakhontoff: «The Chinese
Soviets», New York, 1934, pp.249-283.
2. «Libérez le Tibet? Karat prononce le mot-K », The Telegraph, Kolkata, le 1er avril 2008.
3. J.Staline, Oeuvres, Vol. 4, FLPH, Moscou, p.3.
Traduit de l’anglais par Garde Rouge
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