Comment la Démocratie Soviétique fonctionnait dans les années 1930

Sam Darcy

En décembre 1936, le Parti Communiste Russe devait tenir son élection annuelle des fonctionnaires. Jusque-là les nominations et les élections aux postes du Parti communiste étaient toujours faites ouvertement. Par cette pratique certains membres qui pouvaient ne pas aimer quelques membres puissants du comité exécutif se sentaient souvent limités dans l'expression de leur opposition par crainte de représailles. Le Comité Central a décidé de mettre sa direction au complet à une épreuve, à savoir s'ils étaient vraiment acceptables pour les membres. Ceux qui exécutaient un service public utile seraient probablement réélus et ceux qui s'accrochaient simplement à une sinécure et à une place de pouvoir pourraient difficilement garder leurs postes. Pour cela ils ont introduit le bulletin secret.

Les résultats furent surprenants. Dans quelques zones du parti la direction entière a été balayée de ses fonctions. Dans d'autres il y a eu une critique sévère nivelée contre la direction par un bon vote d'opposition bien que dans l'ensemble, la direction nationale du Parti ait reçu un endossement retentissant. Le parti s'est senti énormément régénéré par les nouveaux membres élus à l’emploi et par l'élimination d'entre ceux qui étaient devenus des bureaucrates durcis et qui n'étaient plus bienvenus dans le groupe.

Le combat contre la bureaucratie, depuis l'établissement du gouvernement soviétique avait été une des tâches personnellement imposées en premier lieu aux dirigeants soviétiques les plus responsables. Le népotisme, le favoritisme et les pratiques de groupe fractionnelles avaient créé une situation malsaine où, chaque fois qu'un homme obtenait un poste de responsabilité dans quelque industrie ou bureau, il introduisait immédiatement en tant qu’adjoints tous ceux qu'il favorisait pour une raison ou une autre et leur donnait les postes les plus désirables pour lui. Souvent ces gens n'étaient pas qualifiés et ou même s’ils étaient qualifiés le sentiment d'avoir un protecteur avait pour conséquence qu'ils devenaient paresseux et bureaucrates. En plus de cela, la tendance pour une telle personne clef était d’augmenter le personnel sous lui au-delà des besoins de l'entreprise dans laquelle il était engagé, parce qu'il voulait « prendre soin de tous ses amis et aussi parce qu'il ressentait que plus grand était le personnel sous son contrôle plus grande était son influence.»

Le problème est finalement devenu assez sérieux pour que le gouvernement prenne des mesures, qui ont été adopté au début de l’année 1935. À une occasion on a découvert qu'il y avait une grave pénurie de bras pour la moisson. En plus de cela il a été évalué qu'il y avait au moins 25,000 ouvriers dans les bureaux de Moscou qui n'étaient pas absolument nécessaires pour le fonctionnement continu de l'économie du pays. Après une campagne éducative chaque branche du gouvernement devait tout simplement fournir un quota d'employés de bureau au travail agricole. Et avec le choix approprié, 25,000 employés de bureau ont été transférés de Moscou aux endroits de production.

La bataille pour tenir la nation à l’affût contre la paralysie rampante que l'opposition d'une part a délibérément essayée de présenter et que d’autre part la bureaucratie par sa simple existence avait tendance à provoquer, a été engagée avec une sévérité particulière lors des élections populaires au Congrès de toute l’Union soviétique qui ont suivi l'adoption de la nouvelle Constitution Soviétique en décembre 1935 [ainsi qu’en 1936 – note du traducteur].

L'observation de cette élection de près m'a frappé parce que c’était curieux que dans toutes les discussions sur la démocratie soviétique et sa comparaison avec les pratiques démocratiques des autres pays, on obtenait rarement une image sur la façon que les canaux d'expression démocratique des gens fonctionnaient dans leur nouveau processus électoral.

Observant cela à 3,000 milles de distance il pouvait paraître comme s'il y avait un billet électoral et qu’on donnait aux gens la chance d’y voter par oui ou par non. C'était en effet vrai pour les élections des Nazis mais c'est complètement une image fausse lors qu’appliqué à l’Union Soviétique.

Pour commencer, en Union soviétique la politique et les élections ne sont pas les devoirs spéciaux d'un parti politique. Si on ne comprend pas ce fait primordial tout le reste va probablement être embrouillé. Les nominations aux fonctions officielles ne sont pas faites par un parti politique seul. Le Parti communiste avance en effet beaucoup de candidats, mais les syndicats aussi nomment des candidats indépendants au bureau politique; comme le font les coopératives, les organisations culturelles,les académies scientifiques, les organisations de la jeunesse et toutes organisations spéciales des femmes et chaque autre organisation ou institution qui le désire . Bref, les nominations pour les fonctions, qui dans notre pays proviennent seulement des partis politiques, proviennent en Union Soviétique de toutes les organisations populaires possibles.

La deuxième chose qui doit être comprise concernant les élections soviétiques qui leur donnent leur qualité démocratique spéciale est que l'accent dans le choix de candidats n'est pas déterminé dans le vote final, mais se trouve dans le choix des candidats.

J'ai eu le privilège d'observer les nominations et les élections dans la zone dans laquelle j'ai vécu et travaillé du commencement jusqu'à la fin. L'élection particulière à laquelle je me suis référé était celle pour la sélection des délégués au Congrès des Soviets de toute l'Union, ceci étant l’équivalent de notre choix des membres des États-Unis à la Chambre des députés à Washington. Chaque institution dans la zone du congrès dans laquelle j'ai résidé et travaillé tenait les réunions avec les gens pour nommer des candidats. Les réunions ont été tenues dans les usines. L'université de Moscou, qui était dans cette zone a tenu une réunion. La Grande Bibliothèque Lénine a tenu une réunion de son personnel pour avancer des candidats. Ont fait ainsi toutes les associations coopératives de magasins qui fonctionnaient là-bas. Même chose pour les syndicats, le Parti communiste, les organisations de la jeunesse, etc. etc. Beaucoup de candidats étaient proposés à chaque réunion. La procédure pour chaque candidat était de se lever et de donner une biographie brève de sa vie et les raisons pourquoi il devait ou ne devait pas être nommé. On considérait comme un manque de responsabilité civique pour un candidat de refuser. S'il pensait qu'il ne devait pas être élu, il était de son devoir de prendre la plate-forme, et fournir une biographie brève de sa vie et donner les raisons pourquoi il ne devait pas être accepté. Deux semaines entières ont été mises de côté pour cette procédure. Quelques organisations se sont rencontrées chaque nuit pendant la période entière et ont examiné des milliers des gens qui y ont été présentés comme candidats . Chaque candidat devait se soumettre aux questions du plancher. À la fin de ce temps-là, un candidat ou plus était mis en nomination pour la zone entière avec l'endossement de l’organisme qui le choisissait.

En plus de la nomination de candidats, chaque groupe a choisi un certain nombre de délégués sur une base de représentation proportionnelle à une conférence de zone du congrès. La conférence de zone du congrès s’est aussi réuni pendant environ deux semaines. Les nominations ont été faites devant cet organisme. Là, on a procédé de la même façon, chaque candidat a été examiné, ses qualifications pesées contre celles d'autres candidats et finalement un vote pris par l’organisme délégué pour le choix final.

Fréquemment l’organisme décidait d'accepter non seulement un candidat, mais deux ou trois ou même plus. Ces candidats, après ce processus approfondi de sélection, étaient alors soumis à l'électorat pour le vote final. Et l'électorat ainsi, par la majorité populaire, choisissait un des candidats dans cette zone du congrès qu'il désirait comme représentant au Congrès des Soviets de toute l'Union.

De cela on peut voir que loin de manquer de démocratie, ce processus est très démocratique par lequel il donne au peuple une occasion très directe de choisir son candidat et nous savons de notre propre système électoral qu’en dernière analyse le choix du candidat est la chose critique dans n'importe quelle élection.

Dans l'élection dont j'ai été le témoin, j'ai vu des candidats "passés au batte" d’une façon qui serait très saine si appliquée à notre propre pays. Leurs contributions et leur service social, leur propre intérêt dans les affaires publiques, leur record de service désintéressé, leurs propres études et éducation et le degré auquel ils ont profité de leurs progrès personnels ainsi que l'amélioration sociale en font partie. Les hommes de mauvaise conduite personnelle et morale qui se présentaient comme candidats avaient leurs voisins, amis et collègues qui les connaissaient bien et qui en discutaient directement sur le plancher. C’était en quelque sorte notre réunion de ville de la Nouvelle Angleterre employée à une échelle nationale et socialiste couvrant une élection qui impliquait 170 millions de personnes .C'est ce processus qui fournit la motivation pour le service social, l’effort social et l'intérêt dans les affaires publiques pour les gens partout dans leur pays. Dans cette élection, par exemple, environ la moitié des membres précédents du Congrès de toute l’Union n'a pas été réélue. Plusieurs gros bonnets confortables incluant de nombreux communistes furent étonnés à la fin de cette campagne électorale de se trouver eux-mêmes indésirables et plusieurs personnes qui n'étaient même pas membres du Parti communiste et qui n'avaient donné aucune pensée à la politique, mais qui avaient servi très bien le public avec une dévotion pure pour les gens, dans leurs propre profession ou occupation ou dans quelque organisation que ce soit comme volontaires, se sont trouvées membres du conseil d'administration le plus haut, le nouveau Congrès de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. C'est un nouveau type de démocratie et je dirais qui les sert très bien.

Chaque génération doit être vigilante concernant ses propres privilèges. Personne ne peut garantir les privilèges des générations suivantes, les privilèges gagnés peuvent être perdus de nouveau. Donc la simple organisation électorale mécanique n'est pas par elle-même une garantie pour toujours que les privilèges des gens soient assurés, mais dans la mesure où n'importe quelle structure politique peut être ainsi fondée pour être la plus sensible aux désirs et aux besoins des gens, je dirais que l'Union soviétique a fait de grand progrès en avant dans cette direction.

Mais même l'Union soviétique, comme on nous l’a constamment rappelé, n'était pas une entité isolée vivant dans le vide – l’URSS faisait partie du monde réel. L’Europe de l’Ouest et l'Asie bouillonnaient avec les premières batailles de la Deuxième Guerre mondiale. Il y avait des choses à faire pour aider le peuple espagnol rangé en bataille, le mouvement clandestin dans les pays dominés par les Nazis, la promotion des mouvements du Front populaire contre les Nazis dans les pays démocratiques et les forces anti-japonaises en croissance en Chine.

Mon intérêt primaire était bien sûr les États-Unis. Mais les États-Unis ne vivent pas non plus comme une entité isolée dans un vide et l'avenir de notre pays n'était dans aucune petite mesure décidé en Europe et en Asie. Comme des milliers d'autres Américains j'ai décidé de donner un coup de main là où je pouvais être utile. Je fus chanceux d’être capable de faire presque un choix libre.

Transcrit par George Gruenthal
De: Mémoires de Sam Darcy, Chapitre XX, pp. 25-31, Bibliothèque Taminent, New York.
Traduit de l’anglais par le Dr Adélard Paquin

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